1) Jeunesse en Argentine.
Ernesto Guevara de la Serna a passé son enfance en Argentine, tout d'abord à Misiones, province agricole située à l'extrême Nord-Est du pays jusqu'à l'âge de six ans où sa famille tenait une exploitation agricole et cultivait la "yerba mate", une infusion locale très populaire. Cependant, ils s'installèrent en 1934 dans la province de Cordoba, à Alta Gracia où règne un climat plus sec et donc plus adapté au jeune Ernesto qui souffre de violentes crises d'asthme. Cette maladie le suivra toute sa vie et influera sur son caractère. Elle sera la cause de manifestations d'angoisse et de forte émotivité, néanmoins il développera une forte personnalité et une forte volonté qui prendront le dessus. La surveillance maternelle constante que Celia de la Serna doit consacrer à son fils tisse des liens étroits, liens qui ne se sont jamais ternis malgré le faible nombre de rencontre qu'ils s'octroieront après le départ définitif du Che en 1953. Commune à tout enfant asthmatique, l'enfance d'Ernesto était caractérisée par de fréquentes absences à l'école qui ne l'empêcheront pas d'accéder à la faculté de médecine de Buenos Aires. Il obtient son diplôme de médecin le 12 Juin 1953 et se spécialise en allergies afin de mieux comprendre l'origine de son trouble. Par ailleurs, durant ses études il travaille comme volontaire à l'Institut de recherches allergiques.
Dès son plus jeune âge, il développe un goût prononcé pour les sports violents, notamment le rugby. Ses anciens équipiers le décrivent comme un joueur téméraire et intrépide malgré son asthme qui, selon l'un de ses amis, l'angoissait. Cela ne l'empêcha pas d'obtenir le surnom de "fuser" qui est une contraction de furibundo (furibond). Il continua de pratiquer ce sport durant ses études de médecine, où il joua dans le San Isidro Club. Il pratique également les échecs grâce à son père, la photographie, il étudie l’archéologie et sa mère lui apprend même à parler français. (vidéo) Il comble ses absences scolaires par la lecture qui emplit une grande place dans le climat intellectuel de la maison, notamment celle de Jules Verne, Jack London, Alexandre Dumas ainsi que les poèmes de Verlaine, Baudelaire ou encore Neruda.
Ernesto a quatre frères et sœurs, Roberto, Celia, Ana Maria et Juan Martin dont il est l’aîné. Ses parents, Celia de la Serna et Ernesto Guevara Lynch sont de lignée aristocratiques. (Photo parents et lui) En effet, sa mère descend du dernier vice-roi du Pérou et son arrière grand-père maternel était considéré comme l’homme le plus riche d’Amérique du Sud. Néanmoins, les Guevara ne se situent pas en haut de l’échelle sociale et connaissent les difficultés de n’importe quelle famille petite-bourgeoise de province. Par ailleurs, ils ont une opinion politique plutôt gauchiste, soutiennent le parti politique républicain lors de la guerre civile espagnole qui éclata en 1936 et s’opposent à l’arrivée au pouvoir de Perón. Ernesto tombe amoureux d’une jeune fille de la haute société mais ils ne se marient pourtant pas à cause de la famille de celle-ci qui s’oppose et du désir grandissant de découvertes du jeune argentin.
2) Voyages latino-américains.
Jeune, Ernesto Guevara de la Serna a développé une passion pour les voyages. A 19 ans il entreprit le premier d’entre eux sur son vélo équipé d’un moteur Il parcourt le Nord et l’Ouest de son pays natal, soit les vallées de Calchaquies et des Andes, et c’est en moins de quatre mois qu’il a roulé plus de 4700km, seul. Une entreprise utilisera même son exploit pour se faire de la publicité.
Ses deux autres voyages furent à l’échelle latino-américaine. En 1952, accompagné de son grand ami Alberto Granados qui le pousse à prendre une année sabbatique, il entreprend le voyage dont il rêvait depuis toujours. Ils parcourent le continent sud-américain et touchent du doigt la pauvreté et la misère qui habitent les villages. Ils se déplacent une vieille moto surnommée la poderosa (la vigoureuse) qui joua en réalité un grand rôle dans leurs aventures, comme en témoigne Granados : « … Ce voyage n’aurait pas été aussi utile et profitable si la moto avait résisté (…) un peu avant notre arrivée à Santiago (Chili) et alors que nous n’avions pas parcouru le huitième de notre parcours, elle refusa d’avancer et l’âme en peine nous l’avons laissée, poursuivant notre voyage à pied. Cela nous a permis de connaître le peuple. » Guevara, imprégné de culture marxiste, se veut médecin du peuple et soigne notamment les lépreux alors même qu’il ne possède pas encore son diplôme officiel. Ils visitent les ruines incas du Machu Pichu au Pérou, s’improvisent entraîneurs de football en Colombie puis se séparent au Venezuela où Alberto obtient un poste de médecin des lépreux et où l’argentin rentre chez lui finir ses études. A son retour, il est persuadé que seule la révolution par les armes permettra d’établir un socialisme qui luttera contre les inégalités socioéconomiques et aboutira à une seule nation sud-américaine unie. Animé par un grand désir de voyage, il refuse un poste de médecin dans la capitale argentine et entame donc son second grand voyage sud-américain. Carte 1
En Bolivie, il rencontre Ricardo Rojo, un avocat antipéroniste échappé de prison qui réussira à le dévier de son projet initial qui consistait à pratiquer la médecine avec Alberto Granados au Vénézuela. Par ailleurs, il observe le MNR, Mouvement Nationaliste Révolutionnaire qui a pris le pouvoir avec la révolution de 1952, et critique ses méthodes qu'il juge trop bureaucratiques. Il décide donc de rejoindre le Guatemala où a éclaté une révolution importante. C'est le 24 Décembre 1953 qu'il passe la frontière guatémaltèque. Le président se nomme Jacobo Arbenz, apprécié du peuple, il essaye de rendre son pays indépendant économiquement. Il se heurte à l'opposition américaine lorsqu'il décide d'exproprier la United Fruit Co., compagnie américaine qui contrôle la plus grande partie de la production et de l'exportation des fruits du pays. Eisenhower réagit rapidement : le 18 Juin 1954, Castillo Armas, colonel américain, envahit le Guatemala à partir de sa base au Honduras. La défense s'organise, Guevara tente de se faire engager au front mais Arbenz refuse d'armer les civils. Auparavant, il avait déjà essayé d'obtenir un poste dans un programme d'assistance aux indigènes en tant que médecin. Ne possédant pas de carte d'adhérent au parti guatémaltèque du travail, il doit se rabattre sur un poste d'assistant dans un centre médical. Lors de son séjour, il rencontrera Hilda Gadea, une étudiante péruvienne liée à des mouvements révolutionnaires dont il tombera amoureux. L'arrivée des américains le pousse à fuir car il est inscrit sur la liste des condamnés à mort. Il est déçu par l’issue des évènements : Arbenz obligé de démissionner, les Américains s’introduisant sur le territoire guatémaltèque et les partisans de l’ex-président fuyant pour sauver leurs vies. Plus que jamais, il développe un sentiment de haine à l’encontre de l’impérialisme américain. Il le considérera toute sa vie comme son plus grand ennemi. Il le dénonce comme hypocrite, car il cache sa barbarie derrière l'idée de défense de la démocratie. Il éprouvera également du mépris envers certains révolutionnaires qui, selon lui, ne rattachaient pas d’actions à leurs paroles. Il suit ses amis au Mexique, où se trouvent des révolutionnaires cubains. Carte 2
3) Un argentin à Cuba.
En Juillet 1955, après sa rencontre avec Fidel Castro, Ernesto Guevara de la Serna est enrôlé comme médecin de la troupe qui débarquera à Cuba, avec pour objectif de détrôner le dictateur Batista. Il est satisfait car il est sûr de participer à des luttes armées justifiées par un idéal pur, soit la libération du peuple cubain. En effet, après son passage au Guatemala, ce qui compte le plus pour lui est de lier des actes aux paroles. Avec ses nouveaux amis, il suit une préparation militaire et apprend les rudiments de la guérilla mais ils sont découverts par la police mexicaine qui les arrêtent, retardant leur plan. A leur sortie, ils achèvent leurs préparatifs et un soir, il quitte sa maison et voit sa femme Hilda pour la dernière fois. Elle témoignera plus tard : « Il ne me dit rien mais je me doutai que c’étaient des adieux définitifs et je ne me trompai pas. »
C’est donc le 25 Novembre 1956 qu’il s’embarque sur un yacht nommé le Granma avec ses quatre-vingt-un équipiers. La traversée est chaotique comme il l’écrira plus tard dans son livre Pasajes de la guerra revolucionaria : « les uns, la tête dans les cuvettes, d’autres prostrés dans les plus étranges positions, immobiles, leurs habits salis par les vomissures » Ils finissent par arriver à Cuba mais à un endroit différent de celui prévu car ils ont été déviés par la tempête. A partir du 2 Décembre, ils sont dénoncés puis poursuivis par la police. Après trois jours de luttes, il ne reste que douze survivants tous mal en point, dont Fidel et le Che. Ce dernier se souvient pendant les combats avoir été confronté à un dilemme à la suite de l’abandon d’un de ses camarades qui laissait derrière lui deux caisses, une de médicaments, l’autre de munitions. Blessé au cou et à l’épaule, il était dans l’incapacité de porter les deux caisses et devait se résoudre à un choisir une : « Qui suis-je ? Un médecin ou un révolutionnaire ? Je choisis la caisse de munitions. » Cette anecdote marque l’évolution de l’Argentin qui à présent se voue davantage à la révolution.
Les rescapés se regroupent sous la direction de Fidel qui garde son enthousiasme, persuadé de pouvoir mener à bien sa mission. Il s’est avéré qu’il avait raison : dans le mois de Janvier, le groupe lance plusieurs assauts qui leur permettent de gagner en confiance et en notoriété. Puis petit à petit, ils établissent différentes bases dans les populations locales et sympathisent avec les paysans. Ernesto vient en aide aux familles pauvres en tant que médecin, sans pour autant pouvoir les guérir correctement, à cause du manque de matériels. Il souhaite même alphabétiser la population, il arrivera à apprendre à lire et à écrire à un vieillard qui n’était jamais entré dans une école.
Les classes sociales les moins favorisées étaient disputées par l’armée et par les révolutionnaires. Cependant, ils avaient des techniques de persuasion différentes. D’un côté, l’armée employait l’intimidation, de l’autre, les guérilleros promettaient de défendre les intérêts des paysans. Le Che a donc su tiré parti de ce conflit en mettant en avant l’efficacité de l’organisation révolutionnaire en citant ses nombreuses victoires.
Il souffre toujours de son asthme qui lui pose des limites physiques très contraignantes, il est resté par exemple près de dix jours couché, sans pouvoir même marcher car il n’avait pas suffisamment de médicaments pour se soigner. Parallèlement, sa maladie stimule sa volonté qui nourrit les nouveaux assauts du groupe envers le régime de Batista. Il est important de noter qu’au terme de l’attaque du poste militaire d’Uvero en Mai 1957, comme souvent, il soigne indifféremment les blessés des deux camps.
Le prestige des guérilleros se développe rapidement et les paysans les soutiennent ouvertement, en créant les réseaux d’informations et d’approvisionnement. Leur effectif augmente et leur réseau s’étend car tous les groupes antidictatoriaux ont entendu parler de leurs exploits et veulent les rejoindre. Le groupe contrôle alors l’ensemble de la Sierra Maestra, région du Sud de Cuba. A ce moment se noue un évènement important : Fidel décide de diviser la colonne en deux, gardant le commandement de la première, et confiant celui de la deuxième au Che qui obtient le grade de Commandante. C’est ici que se crée définitivement l’écart entre le médecin et le révolutionnaire.
Batista, se sentant menacé, décide d’attaquer la Sierra mais les révolutionnaires réussissent à les repousser et lancent une contre-offensive durant laquelle le Che mène sa colonne de victoires en victoires à travers Cuba pour enfin conquérir Santa Clara puis rejoindre la Havane. Batista abdique et s’enfuit, laissant le pouvoir à Manuel Urrutia puis a Fidel Castro, toujours à la tête du pays. La célébrité de l’Argentin ne cesse d’augmenter et il obtiendra même la nationalité cubaine, considéré comme « citoyen cubain par naissance ».
4) L'homme nouveau.
« Il faut changer l’homme pour changer la société » Le Che avait pour objectif d’édifier une société communiste et pensait que pour y parvenir il fallait changer l’homme en créant ce qu’il appelait « l’homme nouveau », sorte d’individu idéal en accord avec ses principes. Celui-ci devait être motivé par des intérêts collectifs et non individuels ainsi qu’être en quête de récompenses morales et non matérielles, qualifiées de capitalistes. Le capitalisme, représenté notamment par les Etats-Unis, devait selon lui être combattu car favorisait les inégalités sociales, auxquelles il était devenu très sensible au terme de ses voyages latino-américains. Tout comme Fidel, Guevara partait d’une vision humaniste radicale. Dans ses discours, il prône la supériorité des hommes de la révolution par rapport à ceux qui n’ont que des intérêts personnels. Par ailleurs, il souligne également la situation privilégiée de ses interlocuteurs, situation qui leur confère certains devoirs envers les travailleurs pauvres qu’il souhaite voir évoluer, se libérer. L’homme nouveau est contre le bureaucratisme, éduqué par la société qui lui inculque de nouvelles valeurs.
Le bureaucratisme est selon le Che un fardeau pour la société qui est obligée de se soumettre au pouvoir étatique alors même que celui-ci n’est pas juste envers les personnes qu’il représente. Il a écrit en Février 1963 un article intitulé «Contre le bureaucratisme » dans lequel il dénonce ce handicap qui centralise le pouvoir et qu’il juge mal contrôlé : « La manière de résoudre les problèmes concrets était laissée au libre arbitre de chacun des dirigeants. » Selon lui, le bureaucratisme est alimenté par « le manque d’intérêt de l’individu pour rendre service à l’Etat », une organisation du travail irrationnelle ainsi qu’un manque de connaissance et de préparations face aux responsabilités, entrainant des « discussions interminables » n’aboutissant à aucun résultat. Pour lutter contre le bureaucratisme, il propose de remettre en ordre l’organisation du travail, d’éduquer la population politiquement à l’aide d’un exemple idéologique et de favoriser les études.
Guevara a insisté sur le fait qu’il fallait une société jouant un rôle d’éducation. L’homme nouveau vit dans une société fondée sur des bases nouvelles et sa conscience y joue un rôle fondamental car : « sans cette conscience qui englobe celle de l’être social, il ne peut y avoir de communisme. » La transformation de l’individu doit être comparable à l’apprentissage scolaire. La société joue le rôle du professeur et intervient par les systèmes éducatifs, la propagande et la mise en place de nouvelles habitudes. Les révolutionnaires au pouvoir doivent donner l’exemple afin d’encourager les populations. L’homme doit évoluer, travailler pour la communauté et effectuer, idéalement, un travail libéré qui suppose la suppression de l’aspect de vente de la force du travail en tant que marchandise. Plus objectivement, le Che souhaitait que l’homme nouveau soit un travailleur volontaire, motivé par sa conscience, elle-même stimulée par la société.
De nouvelles valeurs doivent caractériser l’homme nouveau. Ainsi, celui-ci doit posséder un sens aigu du devoir pour la société, être sensible à toutes les formes d’injustices et à tous les problèmes, acquérir de nouvelles connaissances en permanence et se doit de se sacrifier pour le bien de sa communauté si nécessaire. Le Che ne voyait pas le sacrifice comme une contrainte mais plutôt comme une source de plaisir car d’une part il permet un apport bénéfique pour la société et d’autre part l’auteur éprouve une satisfaction personnelle. La valeur la plus importante selon lui est l’amour : « le vrai révolutionnaire est guidé par de grands sentiments d’amour. » Cependant, c’est ici que nait une opposition intéressante : « un peuple sans haine ne peut triompher d’un ennemi brutal. » Guevara voyait la haine comme une arme au service de ses desseins révolutionnaires et libérateurs mais il la concevait seulement pour répondre à une injustice et défendre les opprimés. Les motivations personnelles et égoïstes étaient interdites à l’homme nouveau, pourtant, une autre opposition apparaît quand il cautionne la volonté individuelle. En effet, il condamne la volonté de supériorité au détriment des autres mais accepte la volonté de se surpasser pour devenir un exemple à suivre et donc aider la société à évoluer.
Il est intéressant de noter qu’Ernesto Guevara avait conscience que ses idées pouvaient paraître utopiques, comme il l’explique dans l’un de ses écrits : « Et si l’on nous dit que nous somme presque des romantiques, […] que nous pensons des choses impossibles, […] nous devons répondre que si c’est possible, que nous sommes dans le vrai, que tout le peuple peut progresser. »